Le cœur du métier de médiateur : l’écoute
L’essentiel de la formation du médiateur est centré sur l’écoute. Une écoute qui se veut active et pleine.
Je ne reviendrai pas sur le cours que je donne sous ce titre, vous en trouverez le résumé sur mon blog.
Souligner qu’avec sa seule écoute attentive, empathique, le médiateur ouvre tous les champs des possibles aux participants à la médiation n’est plus suffisant.
Nous ne sommes pas que des facilitateurs ou des accoucheurs. Nous sommes des faiseurs de paix au sens où l’entend Stephan V. Beyer (Le bâton de Parole, Mama Editions, 2016).
Mais ces fonctions ne seraient rien sans une écoute sincère, profonde. Pour cela, nous nous devons d’être vrais. Qu’est-ce à dire ?
L’écoute du médiateur revêt différents aspects. C’est à la fois une écoute « externe » et « interne ». Ce n’est pas connaître la satisfaction des clients ou sa satisfaction personnelle…
– L’écoute « externe » est centrée sur les participants à la médiation. Comme nous le savons, cette écoute utilise nos cinq sens : l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher (kinesthésique), le goût (d’une certaine façon). C’est ce qui concourt à une écoute pleine et active du médiateur envers les médieurs. Cette écoute est centrée sur ce qui est extérieur au médiateur.
– Elle ne se suffirait pas si nous n’y ajoutions notre écoute « interne » : l’écoute de nos avertisseurs que sont nos sensations, nos sentiments, notre instinct, cet ensemble qui participe du ressenti du médiateur.
Ces autres aspects de notre écoute, que j’appellerai nos « sens internes » ou « alertes internes », sont autant de signaux que nous devons écouter pour mieux comprendre ce qui se passe entre les participants et entre les participants et nous comme aidant et comme participant de la médiation.
Depuis des temps immémoriaux, il est dit que l’union de nos cinq sens en crée un autre, le sixième sens qui permettait de parvenir à une écoute, une compréhension, plus parfaite d’une situation qui nous est étrangère, d’une sensation qui nous est personnelle…
Les scientifiques décrivent notre cerveau archaïque, primaire ou reptilien, que nous avons en commun avec tous les animaux, comme étant celui qui met en action nos instincts de préservation, qui gère nos besoins primaires et réactions primitives comme la fuite, la violence, nos pulsions… Ces réactions naturelles sont essentielles à la survie de tout être vivant bien que, chez l’humain, elles se doivent d’être connues, prises en compte.
Le cerveau limbique que nous avons essentiellement en commun avec les mammifères, gèrent les émotions, l’affectivité, et notre mémoire émotionnelle.
Ces deux cerveaux premiers (outre le cortex, le cerveau du cœur et celui des viscères (ces deux derniers reconnus plus récemment, notamment par les scientifiques quantiques), nous permettent de ressentir, souvent de façon très fugace, des impressions, des ressentis, qui avertissent le médiateur, lui permettent de prendre conscience, d’un élément dans le discours, de ce petit signe dans l’attitude des participants à la médiation. Cette information peut s’avérer importante, voire cruciale. Il ne faut pas la laisser passer, l’occulter, faute de peut être passer à côté de l’essentiel, de la clé, de la médiation.
Nous méfiant de nos instincts primaires, nous tendons à écarter ce que notre instinct nous révèle.
Cette méfiance, ce rejet, du à notre éducation, nos apriori, notre vécu, la peur du regard des autres, vis-à-vis de nos émotions, ressentis, peuvent être néfastes.
Comme le dit Thomas FIUTAK, nous devons toujours affûter notre regard sur nous-mêmes et vérifier nos apriori. Non pas pour les écarter (ce sera le plus souvent impossible) mais pour les connaître, savoir qu’ils sont là et que nous devons en tenir compte pour décider de poursuivre ou non une médiation.
Nous devons donc être vigilant, savoir écouter les participants à la médiation et savoir aussi nous écouter :
– pour mieux nous connaître, connaître nos possibilités et nos impossibilités, nos barrières infranchissables, ce qui nous habite et que nous devons prendre en considération pour savoir si nous serons capables ou non de remplir une mission de médiation ;
– pour saisir nos empathies, antipathies naturelles, nos attirances et rejets instinctifs qui feront que nous serons ou non efficaces dans la médiation ;
– nous permettre de saisir au vol cette pierre blanche qu’un participant lâchera de manière à peine audible, fugace, pour la « marquer », la mettre en exergue, car elle permettra de faire avancer la médiation ;
– pour permettre aux participants de se re-con-naître, personnellement et réciproquement, de s’accepter dans leurs différences, et à la médiation d’avancer en laissant les solutions de chacun apparaître, se développer en commun, pour arriver à prendre vie.
Un anthropologue détaillerait bien mieux que moi ce que je viens d’évoquer. Je puis cependant vous inciter à savoir écouter les autres ainsi que vous-mêmes. En n’écoutant pas vos ressentis, vos « impressions » (vraies ou fausses mais qu’il faut percevoir et analyser), vous risquez de ne pas entendre les participants à la médiation. Si vous ne vous écoutez pas, vous passerez à côté d’informations importantes que vos différents cerveaux s’évertuent à vous révéler.
Ces signaux internes peuvent être mentaux et/ou physiques. C’est un papillonnement dans le ventre, une sensation de dégoût, un bourdonnement dans les oreilles, la bouche, les mains qui deviennent sèches ou moites, une chaleur qui passe dans le corps, des larmes qui montent aux yeux, une onde qui passe (froid dans le dos, mal au ventre…), le « cœur qui fait mal »…
Ainsi, le beau jeune homme (ou la jolie jeune fille) auquel vous souriez bêtement sans même vous en rendre compte, mettant mal à l’aise votre co-médiateur ou entraînant la suspicion de l’autre participant… ou la personne qui pleurniche sans arrêt et qui vous tape sur les nerfs… ou celle qui pleure à chaudes larmes et qui vous fend le cœur… ou celui vers lequel vous penchez involontairement ou que vous regardez plus que l’autre participant… Ces gestes, ces attitudes, nous les avons tous faits, nous les avons tous eus. Et ne vous tancez pas pour autant. Vos sensations et ressentis sont là pour vous avertir. Vous devez les accueillir comme des alertes saines et salvatrices. Vous devez simplement vous entraîner à les percevoir, à vous en rendre compte et à les lire. De la même façon que vous recevez les participants à la médiation tels qu’ils sont, recevez-vous comme vous êtes.
Lors d’une médiation familiale, je me suis retrouvée face à mon émotion que je ne pouvais cacher. J’ai hésité. Mais l’émotion était trop forte. J’ai souris au milieu d’une larme naissante et j’ai dit à mes clients : « Vous avez été tellement vrais que j’ai ressentie une émotion forte. Je suis presqu’aussi émue que vous »… Les clients sont sortis en m’embrassant – il n’y avait pas encore le coronavirus. Peu après, lors d’une supervision, je m’en suis ouverte. L’on m’avait jusqu’alors dit que les émotions ne devaient jamais transparaître chez un médiateur. J’avais peur d’avoir été trop laxiste, trop émue. Ma superviseur m’a dit « Si tu l’avais caché, ils s’en seraient rendus compte et tu aurais perdu en crédibilité ». Elle a ajouté : « Tu as perçu la sincérité de leur émotion ». Et cette sincérité avait été perçue par mon corps. L’émotion que je ressentais était le miroir de la leur… Après cela, j’ai appris à reconnaître et à accepter mes émotions. Elles étaient simplement un signe de mon humanité et de mon empathie, de ce que j’avais écouté de façon active et pleine.
De même que vous ne jugez pas les participants, que vous êtes empathiques envers eux, que vous les prenez comme ils sont, ne vous jugez pas, restez naturels, soyez empathiques envers vous-mêmes.
Restez à l’écoute de vos sensations physiques car, pour les participants comme pour nous, le corps ne ment jamais. Il traduit à l’extérieur ce qu’il se passe dans votre corps et dans votre esprit.
Ces signes vous préviendront, seront des alertes, de ce que vous pouvez ou non supporter au cours d’une médiation, de ce que vous vous y sentez à l’aise ou non… Pris en compte, ils vous permettront de mieux avancer dans votre médiation.
Ce livre d’Alice Miller « Le corps ne ment jamais », les rencontres avec Jacqueline MORINEAU avec la médiation humaniste, avec Marianne SOUQUET et son approche de la médiation transformative, m’ont ouverte à d’autres approches, comme celle de Linda KOHANOV avec les chevaux et les humains, celle de Patricia Arnoux qui a introduit en France la médiation animale en milieu carcéral, celle de ces médiateurs animaliers qui font renaître un sourire sur le visage de personnes aux portes de l’oubli, au portes de la mort, grâce à la simple présence d’un cheval comme PEYO, d’un chien, d’un hamster…
Ces langages connus des Anciens, Grecs, Égyptiens, Perses, Bouddhistes, Peuples Premiers… qu’ils faisaient vivre au travers de leurs cultures, donnaient à l’humain sa juste place, non comme un maître ou un roi mais comme un parmi les milliards de milliards d’habitants de l’Univers, avec le respect qu’ils avaient pour tous.
Faites comme les anciens qui s’inspiraient des animaux et comme eux ne négligez pas ces avertissements donnés par le corps. De la même manière que l’on est attentif aux oreilles du cheval qui se couchent, qui se dressent, à un dos qui s’arrondit, à des babines qui se soulèvent pour montrer des crocs, des poils qui se hérissent sur le dos d’un chien ou sa façon d’offrir sa patte pour vous appeler. Leurs regards, leurs attitudes, sont autant d’informations à lire.
Il en est de même chez nous, un frisson, des poils qui se hérissent dans le dos, un sourire crispé sur les dents, autant de signes que nous avons gardés dans notre cerveau animal, gravés à jamais dans notre mémoire d’animal-humain.
Travailler avec les animaux aide à apprendre à lire le langage corporel, à parler avec son corps, car c’est le seul langage que les animaux perçoivent, outre nos odeurs, nos ondes de peur, de joie, de colère, de tristesse… C’est une approche complémentaire de ce que j’ai appris depuis 21 ans : entendre les langages, verbal et non-verbal, entendre avec ses 5 sens, entendre avec son cœur, son âme, son esprit.
Les chevaux, les chiens, les animaux d’une façon générale, nous perçoivent avec l’acuité de leur corps, ce que nous n’avons pas ou plus, que nous devons apprendre ou réapprendre. Ils nous reçoivent comme nous sommes et nous renvoient notre image, nerveux, angoissés, stressés, calmes ou heureux, le fameux « effet miroir » que nous mettons en œuvre en médiation avec les humains.
Si vous souhaitez écouter de façon active et pleine les participants à une médiation, apprenez à les voir, à les entendre, à les sentir, apprenez à vous écouter sans apriori. Pour être un médiateur « extérieur », apprivoisez votre médiateur « intérieur ». Apprivoisez-vous pour apprivoiser les participants à la médiation.