AMI-MEDIATION est entrée dans sa 10è année d’existence.
J’aborde ma 21ème année d’étude de la médiation.
L’âge de la maturité, de la réflexion et surtout de l’humilité. Pour copier GABIN, nous savons que nous ne savons rien. C’est ce qui fait la richesse d’une vie : s’enrichir en apprenant sans cesse pour s’améliorer puis transmettre ce que l’on a appris au plus grand nombre.
En cette fin de vacances, j’aborderai les émotions auxquelles est souvent confronté un médiateur, celles des médiants et les siennes.
Un médiateur doit essayer de prendre de la distance, de « monter au balcon », en restant avenant, en recevant les émotions comme la colère qui, tout autant que les pleurs, le mutisme… est une démonstration de détresse, d’angoisse ou de peur, un appel au secours, qui doit être entendu et accueilli.
Il doit aussi accueillir ses émotions. Les refouler ou ne pas les reconnaître serait une erreur. Il passerait à côté d’une écoute subtile, d’un ressenti, d’une information importante, que lui transmet sa sensibilité, son empathie, sa bienveillance, son écoute.
Je vais en heurter certains mais je le répète : Nous sommes avant tout des animaux et, dans ce genre de situations, nous devrions nous rappeler comment réagit un animal : Le chien aboie, la gazelle fuit, le lion sort ses crocs, le chat ses griffes, quand la crainte, la peur, le danger, se font sentir. Les êtres humains, les médiants, le médiateur, animaux par essence, font de même. Nous sommes naturellement des émetteurs-transmetteurs avec nos cinq sens : le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe, la vue, nous permettent de recevoir et de donner des milliards d’informations.
Que je dise que nous sommes comme des animaux choque ? Ou est-ce le fait que nous ayons comme eux des émotions et des sentiments ?
C’est pourtant vrai et reconnu par la science et par la loi à ce jour. L’animal est « un être sensible », doué d’émotions comme l’humain parce que les émotions font parties de la nature animale, donc humaine.
Mais revenons à notre « humanité ». Que doit (devrait) faire un médiateur, un médecin, un avocat… (Et oui nous sommes tous potentiellement des médiateurs en devenir dès que nous sommes en relation avec des personnes qui ont besoin de notre aide) dans ces cas-là ?
Tout médiateur se trouve, à un moment ou un autre, face à un médiant (médieur, médié, participant, client, patient…) au bord de la crise de nerf qui peut hurler de rage, asséner « ses quatre vérités » à son « adversaire », interrompre son contradicteur, se mettre à pleurer, se murer dans le silence. En un mot, nous sommes face à un animal traqué, à un enfant perdu.
Le médiateur doit être capable de recevoir toutes ces informations. Comment ?
1 – D’abord prendre de la distance :
- La distance entre le client et le médiateur est indispensable. Plus facile à dire qu’à faire… C’est pourtant ce qui va nous aider à ne surtout pas agir (sauf en cas de violence physique) et, par là, à mieux comprendre les personnes que nous allons aider.
- Ne pas se laisser happer par son ego sinon il va nous faire faire une bêtise. Donc le mettre à distance lui aussi… je dirai même, en tout premier lieu ! Ce n’est pas nous qui sommes visés, même s’ils peuvent nous prendre à partie. Mais c‘est au travers de nous que les participants font passer leur message. C’est ce que nous faisons chaque fois que nous reformulons les mots, les propos, des médiants (voir plus loin).
- Monter au balcon, voir les choses de plus haut, à distance, ce qui nous évitera de nous impliquer personnellement dans la situation, le différend ou le conflit.
- Regarder les participants en spectateur comme si nous étions devant un écran ou une scène, ce qui nous permettra de mieux voir ce qui se joue devant nous (bien sûr hors tout contexte de violence physique où là, au contraire, nous devrons nous interposer physiquement et/ou psychologiquement).
2 – Accueillir ce qui se joue devant nous.
- Ne pas soi-même se mettre en colère, ne pas monter en intensité (gardez nos distances) ne pas monter sur nos grands chevaux. Nous ne ferions qu’aggraver les choses et les participants ne se sentiront pas compris. Pire, ils risquent de nous prendre pour un adversaire supplémentaire avec toutes les conséquences que cela entraîne, y compris l’abandon du processus de médiation.
- Baisser la voix. Parler « mezzo voce », une voix douce, basse, calme. Le ton de notre voix entraînera les participants à baisser le leur et inconsciemment, ils vont peu à peu se mettre à notre niveau vocal.
- Sourire (un sourire avenant, ni méprisant, ni complice), si cela est possible. Bien évidemment, nous n’allons pas sourire si l’un des protagonistes du conflit nous annonce qu’il a tué père et mère.
- En tous cas, montrer à la personne que nous accueillons sa douleur, sa peur, sa colère, que nous la prenons en compte, sans pour cela l’admettre, ni abonder dans son sens.
- Reprendre ses mots (ses maux) avec empathie, voire compassion, les énoncer, peut-être sur le même ton si besoin est. Elle se sentira comprise et cela augmentera sa confiance dans le processus et en nous.
- Ce que nous faisons pour l’un, faisons toujours de même pour l’autre ou les autres participants pour qu’ils n’aient pas la sensation que nous prenons fait et cause pour leur contradicteur.
3 – Mettre des mots sur l’émotion, la nommer.
« Madame, vous ne voulez pas, vous ne pouvez pas parler ? »
« Monsieur, je sens de la tristesse dans vos propos, est-ce bien cela ? »
« Ce que vous venez d’entendre semble beaucoup vous déplaire ? Pouvez-vous nous expliquer ce que vous ressentez ? »
Ne pas avoir peur de nommer les sentiments, les émotions, que nous percevons, surtout quand elles ne sont pas énoncées clairement. Si nous les laissons dans le non-dit, nous les retrouverons sans cesse durant la médiation, jusqu’à cela devienne une cause d’interruption, d’abandon, de la médiation.
4 – Être un miroir pour les participants. La reformulation est le moment et le moyen idéal pour obtenir cet « effet miroir ».
Dans ce genre de situation, elle est un outil à privilégier. N’ayons pas peur d’en abuser. Prévenons nos clients que nous reformulerons systématiquement. Sinon, cela pourrait paraître tel un perroquet. Alors, expliquons. Mettons des mots sur ce que nous faisons. Expliquons que nous reformulons, que nous répétons, leurs propos, pour être sûr de bien les avoir compris, qu’eux-mêmes puissent corriger leurs propos s’ils se rendent compte qu’ils n’ont pas été entendus, et surtout pour que chacun les entendent de façon apaisée, moins « brut de béton » que lors de la formulation initiale.
5 – L’outil à user avec circonspection et à bon escient, le SILENCE.
On dit que le « silence est d’or », qu’un long silence vaut mieux que des mots » et bien d’autres citations qui le mettent au sommet de la pyramide… des outils du médiateur.
Le silence est un outil important en médiation. Savoir l’utiliser est primordial. Oui mais, quand et comment ?
Quand ?
- A tout moment au cours d’une médiation. Ce sera un signe de respect, de réflexion et de crédibilité par les médiants. En tant que médiateur nous sommes là pour écouter, pour faire parler, pour recueillir la parole, l’expression des émotions, pas pour nous exprimer. Nous ne savons rien de leur histoire, ils sont seuls à la connaître.
- Pour laisser les personnes réfléchir à ce qu’elles veulent dire, leur laisser le temps de « digérer » ce qui vient d’être dit. Tout le monde ne réagit pas au quart de tour. Alors faisons une pause dans le silence.
- N’ayons pas peur de nous y installer, de nous y lover. Le silence entraînera leur parole car ils ne pourront pas le laisser perdurer.
- Si le silence s’éternise, c’est le signe qu’il nous faut leur proposer autre chose ; peut-être un entretien séparé, un caucus, comme disent les canadiens. Ils ne voudront dire certaines choses qu’à nous seul. Les avocats sont parfois étonnés de ne pas avoir été informés par leur client de certaines choses de leur dossier. Bien souvent, mes Confrères oublient cette règle du silence et parlent trop, donnent déjà des solutions sans avoir en mains tous les tenants et aboutissants du dossier présenté par leur seul client.
Comment ?
- En commençant par faire le silence en soi pour être capable d’écouter les silences, ceux des participants, leurs mots, leurs maux, mieux écouter leur langage non verbal, saisir cette petite moue, ce haussement de sourcil, ce soupir, que nous n’aurions pas entendu sans notre silence.
- En respirant profondément, laisser le souffle agir en soi et sur les participants. Comme le silence, ils vont le capter, s’y unir et finir par respirer au diapason de notre souffle. Nous recouvrerons notre calme et eux le leur. N’hésitons pas à respirer « ouvertement », que cela s’entende. Cela nous aidera beaucoup et eux aussi.
- En les regardant avec simplicité, sans jugement. Être attentif à recueillir ce « petit quelque chose » de subtil que nous pourrions percevoir. Le contact visuel, le « eye contact », est essentiel. On peut faire passer beaucoup de choses par le regard et on peut y lire beaucoup.
6 – User de nos cinq sens avec humilité :
Affinons nos cinq sens. Ils sont la clef de notre écoute et de notre perception des situations les plus diverses. Ainsi, « écouter » en chinois s’écrit avec les signes : toi, oreille, œil, attention pleine, cœur.
(Ecoute jardin des Halles : Par Pline — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=11331457)
Apprendre à utiliser nos 5 sens, nous former sans cesse à la médiation, permet d’apprendre une chose essentielle : l’humilité. Indispensable au médiateur, l’humilité permet de comprendre et d’apprendre beaucoup. Savoir se taire, écouter le silence, lire le non-verbal sur le visage, les attitudes physiques des personnes que l’on rencontre, recevoir ainsi de multiples informations nécessaires à la compréhension, à l’aide, d’êtres et de situations que nous ne connaissons pas, de personnes dans la vie desquelles nous ne faisons que passer.
Se former à la médiation est essentiel pour tout le monde, pour la résolution de conflit certes mais pas uniquement. Savoir médier est important dans notre vie quotidienne, pour notre évolution personnelle. Elle est une philosophie, une manière de vivre, « a way of life » comme disent les Nord-américains. Avec cet outil, pris dans son entièreté, nous pourrions obtenir la paix en nous et autour de nous.
7 – Une petite dernière ?
Paris ne s’est pas fait en un jour. Nous ne pouvons être médiateur du jour au lendemain. Nous ne naissons pas médiateurs. Nous le devenons.
La médiation est une plante à cultiver avec respect, patience et humilité.
Au bout de 20 années à cultiver la médiation, je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre de mes maîtres. Patience…